Mort ou réalité ?
« Tout le monde aimerait réaliser ses rêves, même les plus fous…
Imaginez-vous en train de chevaucher un dinosaure, ou bien de discuter avec Léonard De Vinci ! Et tant d’autres choses délirantes.
Ca vous plairait, hein ? Eh bien, grâce à notre merveille de la technologie, le simulateur intracrânien, tout ceci est à votre portée !
Alors ne perdez plus de temps et venez dans nos magasins acquérir le votre. Venez acheter votre issue de secours pour la vie de tous les jours ! »
Le directeur de la société Dreams’n’Co souriait niaisement devant la caméra. C’était un vieil homme de soixante-douze ans qui avait vécu la chute de l’Europe en deux mille vingt-deux, la reconstruction de l’URSS et son anéantissement un an après. On lisait dans son regard tous ses malheurs. Mais une petite lueur primait sur les autres, de la satisfaction… Il avait pensé toutes les lignes de cette fameuse machine, il avait construit de ses mains le premier modèle et avait même faillit mourir en l’essayant. Il était resté cloué dans son lit d’hôpital plus de deux mois après avoir été brulé partout en dessous de la ceinture.
Ulrich coupa le son de la télévision et prit ses clefs sur le comptoir en chêne synthétique avant de sortir de son appartement.
Il leva les yeux vers le ciel nuageux et continua son chemin au pas de gymnastique en direction du parc municipal pour son jogging quotidien.
Il était en short et en Marcel, laissant à nu ses muscles saillants, ses épaules larges, ses cuisses et mollets dessinés. Ses cheveux bruns coiffés en épis désordonnés découvraient son front haut. Sa mâchoire carrée relevait le caractère bourru de son regard froid comme une tombe.
Son teint clair, presque pâle, camouflait assez bien différentes cicatrices. Vestiges de bagarres de rues et d’époques de crise. Car, ancien Marines américain, il avait combattu, une dizaine d’années plus tôt, dans le désert de Gobi pour contenir la folie destructrice de la Chine communiste. Une guerre nucléaire était alors sur le point de faire rage, et le monde est passé très près d’un anéantissement total.
Une fois à l’entrée du parc, il enfonça deux écouteurs stéréo dans ses oreilles et l’air de l’album d’Avenged Sevenfold résonna dans sa tête.
Malgré le hard rock tonnant dans son esprit, il ne put s’empêcher de songer à cet appareil permettant de vivre ses rêves. Il pensa d’abord à retrouver sa femme, morte au Maghreb, tuée par un membre isolé d’une secte terroriste.
Mais il retourna vite à la réalité : il ne pourrait vivre éternellement dans le royaume des rêves…
Une heure après, transpirant et essoufflé, il retourna chez lui prendre une douche et préparer un plat de protéine en tube. Il prenait particulièrement soin de son corps afin de tenter de retrouver l’âme sœur, et peut-être oublier sa défunte épouse.
Pendant que son repas cuisait dans l’eau, il appuya sur le bouton de son répondeur datant du début des années deux mille :
« Vous avez un nouveau message » grésilla la voix féminine préenregistrée.
Puis un bip se fit entendre avant que son ami Stanley Broody ne prenne la parole :
« Salut Ulrich, c’est moi. Ma mère a acheté cette machine… Tu sais, ils en font la pub en boucle aux informations en ce moment ! Elle m’a proposé de venir l’essayer pendant qu’elle irait se faire dorer la pilule à Tahiti. Et je me suis dit : vu qu’Ulrich n’a pas trop le moral, il pourrait venir essayer lui aussi ! Enfin bref, si tu veux venir, c’est demain matin chez ma mère. »
Ulrich appuya encore une fois sur le bouton pour éteindre l’appareil et alla s’installer dans sa cuisine pour déguster sa mixture infâme à la base d’algues et de viande en poudre.
Stanley et lui étaient devenus amis à la suite d’une attaque d’un gang en pleine rue. Ils étaient alors âgé de onze ans chacun. Par reflexe, ils se sont jetés l’un sur l’autre en un geste protecteur alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Ce fut alors la naissance d’une grande complicité entre les deux hommes qui ne se sont jamais perdus de vue.
Ulrich sourit devant la bonté de son ami et il se dit pour se persuader lui-même du côté bénéfique de cette machine qu’il pourrait souffler quelque peu, prendre du recul sur son travail et surtout passer du temps entre amis.
Le lendemain, ils attendaient tous deux devant la maison de Mme Broody.
- Tu es sûr que ça va ? demanda Stan en remarquant les cernes violets s’étendant sous les yeux fatigués de son ami.
- Hm… Ca peut aller.
- Nuit difficile ?
Il avait vu juste.
- J’ai fait un cauchemar. Sur ma femme.
Stan marmonna en guise de réponse, il se doutait que ce n’était pas une situation facile à vivre. Mais il ne pouvait rien faire, sinon l’aider à oublier.
- Suis-moi, on va voir ce que c’est que cette machine ! Je l’ai vu une seule fois, en vrai, et c’est comme un gros lit avec plein de fil et d’électrodes partout. C’est vraiment bizarre, mais faut pas s’y fier.
Ils rentrèrent dans la luxueuse bâtisse et se dirigèrent vers le salon, où se trouvaient un canapé-lit et les dispositifs de l’appareil.
- Alors, c’est donc ça… Ca ne ressemble pas à grand-chose…
Ulrich ne semblait pas emballé par cet engin faiseur de miracle, mais il allait se forcer, rien que pour faire plaisir à Stan.
- Toujours aussi enthousiaste, ça fait plaisir !
Stan lui mit une tape dans le dos pour le taquiner et il parvint à le faire sourire.
- Qui essaye en premier ? Toi ou moi ?
- Je propose les filles d’abord ! Je suis galant !
Ulrich lui répondit par une bourrade de l’épaule, leur manière de se prouver leur affectuosité.
- Stop ! Je déconne, on peut se brancher en même temps ! Il faut juste qu’on ait un rêve commun !
Ulrich sourit d’un air satisfait, au moins, il ne serait pas seul, il se changerait vraiment les idées. Il ne serait pas emprisonné par ses remords.
- J’ai une idée…
- Oh… Je n’aime pas quand tu prends ce ton là !
Stan n’avait pas tort de se méfier de son ami : leurs expériences à deux avaient souvent mal tourné.
- Tu n’as jamais rêvé de changer le cours de l’histoire ? De changer le cours de la guerre ?
- Bien sûr que si ! Mais ne me dit pas que…
- Si ! Pourquoi pas ?
Stan savait que c’était une très mauvaise idée mais une sorte d’instinct le poussa à accepter, à saisir sa chance.
- Alors, c’est parti !
Après les manœuvres de sécurité indiquées sur la notice, ils s’étaient allongés et avaient pensé tous les deux à la même chose. A la même période, plus précisément, la Seconde Guerre Mondiale.
Ulrich, une fois assoupi à cause du produit injecté directement dans le cœur pour réduire leur rythme cardiaque et les endormir, sembla flotter dans le néant. Il perdit contact avec le sol et se laissa dériver au gré des courants que prenaient le temps, l’espace et le chao qui les accompagnait. Il était d’abord grisé par cette sensation de légèreté absolue, puis il fut vite prit de vertige et de nausées causées par la pression atmosphérique divergeant avec celle de leur lieu de départ.
Ils étaient allongés par terre, sur le goudron ravagé par de nombreux passages de semi-chenillés allemands.
Stan se retourna brusquement et vomit les restes de son petit déjeuner.
Au bout de quelques minutes de nausées et de bile éparpillée sur le parvis, Stan se releva en titubant légèrement et regarda l’environnement qui l’entourait. Mais ce n’est qu’en voyant la pointe de la tour Eiffel côtoyer les nuages qu’il ne comprit où ils étaient :
- Paris ! On est à Paris !
Mais pas la Paris des grandes années, des bombardements avaient du frapper la ville récemment car les grands appartements Haussmanniens étaient en ruines, fumants encore.
- J’en reviens pas… On est vraiment en pleine guerre !
- Oui… J’y crois pas… C’est magique !
Ulrich venait de s’emballer pour la première fois depuis des semaines.
- Attends, écoute…
Stan s’était accroupi et avait posé une oreille contre le sol pour sentir les vibrations qui en provenaient. Un grondement sourd s’amplifiant au fil des secondes faisait trembler les vitres encore entières.
- Un convoi ! Un convoi approche ! Cours !
Il avait hurlé en même temps de se relever. A l’horizon se profilaient des dizaines de véhicules de la Wehrmacht. Des panzers, des semi-chenillés, des quatre-quatre se rapprochaient des deux amis déboussolés.
Ils avaient donc traversé la rue en courant pour se diriger vers leur seule issue possible : une brèche dans un des bâtiments. Mais une fois qu’ils s’y furent engouffrés, ils tombèrent nez à nez avec un commando SS allemand.
Ils levèrent les mains en l’air en voyant les canons de MP40 braqués sur eux et tentèrent de comprendre ce que leur aboyait le soldat de tête. Mais voyant qu’il n’était pas compris par les deux américains, qui ne parlaient que le français –depuis qu’ils avaient été en Bourgogne-, il se tut et ordonna à deux de ses hommes de les fouiller.
La fouille se déroula sans encombres et les nazis ne trouvèrent à priori rien d’intéressant car ils les laissèrent partir, les congédiant par une autre phrase en allemand, mais très explicite cette fois ci.
Outre cet accident, ils errèrent longuement dans les décombres de la Belle Paris sans pour autant trouver de victimes ou de taches de sang pouvant signaler un quelconque accrochage. Ils ne trouvèrent ni morts, ni vivants, c’était à croire que la ville la plus réputée de France était devenue une ville fantôme…
Ils n’en étaient pas moins estomaqués par la prouesse technologique qu’ils venaient de tester.
Ils arpentèrent encore un long moment les grands boulevards dévastés, vestiges d’une France défaite, sans pour autant perdre de leur émerveillement.
Mais au bout d’un certain temps, après s’être engouffrés dans une rue adjacente au boulevard principal, les deux amis arrivèrent en face d’un groupe de quatre hommes en tenue de soldats allemands, mais portant les bérets des résistants français.
- Qu’est-ce que vous faites habillés comme ça ici ? Vous allez vous faire repérer ! Où est le reste du groupe ?
Le plus grand de la troupe était apparemment le porte-parole.
- Euh… Ben… Il doit y avoir un malentendu…
- Mais, vous n’êtes pas les gars de la section noire ? Les FFI ?
Ulrich tremblait, non pas de peur, mais de froid. Mais au vue des évènements passés, il n’y prêta pas attention.
- Nous étions juste de passage dans cette partie de la ville, nous n’étions pas au courant pour le couvre feu. Le problème est que nous habitons à l’autre bout de la ville !
Stan s’était étonné lui-même par son sang froid. Il n’avait pourtant pas l’habitude de mentir, mais en écoutant ses arguments, on pourrait croire qu’il avait fait cela toute sa vie.
- Alors foutez-moi le camp ! Vous gênez !
Le groupe repartit au pas de charge vers le bâtiment le plus imposant de Paris, la tour Eiffel.
Après plusieurs minutes d’un silence pesant entre les deux amis, Ulrich demanda à mi-voix à son ami :
- Pourquoi Paris ? Pourquoi pas Londres ou Berlin ?
- Parce qu’Hitler sera à Paris pendant la guerre, il importera un produit chimique russe qu’il va tester sur des prisonniers de guerre.
- Comment tu sais tout ça ?
- Je sais pas…
Il avait hésité le temps avant de répondre, il avait cherché dans sa mémoire où pouvaient lui venir de telles informations.
Il conduisit Ulrich dans une petite maison épargnée par les bombes. Seulement ce détail chiffonna ce dernier : tous les immeubles et maisons aux alentours étaient ravagés. Alors pourquoi cette maison était elle encore debout ?
- On va attendre ici pendant quelques jours, il ne faudrait pas arriver avant la cargaison.
Ulrich acquiesça d’un signe de tête et ils partirent découvrir l’intérieur de cette modeste planque.
Cinq jours passèrent tranquillement, même plutôt étrangement. Ulrich restait troublé par son ami d’enfance, comment faisait-il pour lui cacher tant de choses ? Comment faisait-il pour savoir tant de choses, pourtant classées secrètes par les gouvernements, sur le contexte ?
En effet, il savait tout, même jusqu’au moindre battement d’ailes qui s’était ou se produirait. Comme si il avait déjà visité cette période…
Mais ce n’est que le soir du sixième jour que Stan, une fois qu’ils eurent fini de manger, expliqua à Ulrich les détails de son plan. Il voulait faire exploser la cache d’armes d’Hitler qui contenait ce fameux produit russe. Et avec un peu de chance, ils arriveraient au moment où la livraison serait effectuée.
Il ordonna donc à Ulrich, à dix heures du soir, d’enfiler un treillis militaire blanc. Car entre temps, à peu près cinquante centimètres de neige avait recouvert le paysage. Ils allaient s’infiltrer discrètement, si possible, et faire le plus de dégâts dans ce stock de munitions.
Ulrich protesta en vue de l’heure plutôt tardive, mais, connaissant le caractère borné de son ami, il céda et alla s’installer dans la jeep qu’ils avaient volée aux allemands de la veille.
Pendant le trajet sur les chemins cahoteux de la banlieue parisienne, Ulrich tentait de se défaire de la pression qu’exerçaient les idées noires qui le hantaient.
- Que se passe-t-il mon ami ?
- Je me demande… Je me demande si nous sommes vraiment dans un rêve… Tout est trop, trop réel !
- Bien sûr que nous sommes dans un rêve ! Et si tu veux en avoir la preuve, tire toi donc une balle dans le crâne, c’est le seul moyen de se réveiller !
En lui parlant, il avait sortit de sa poche un Glock américain qui, normalement, n’avait rien à faire à cette époque.
- Mec ! Qu’est-ce tu fous avec ce truc ?!
- Tu veux tuer du Bosch oui ou non ?
Ulrich n’aimait pas du tout le sourire qui se peignait sur le visage de son ami.
- Et ce n’est rien ! Il y a du gros calibre derrière !
Il rigola et désigna la large couverture masquant le contenu du coffre. Ulrich hésita, ne sachant pas s’il voulait vraiment savoir ce que sa voiture dissimulait. Mais il finit par tirer du bout du doigt sur la couverture en tissus rêche et la lancer à l’autre bout du coffre pour en découvrir le contenu.
Il manqua de laisser s’échapper un cri de surprise en voyant la quantité effroyable de machines à tuer en tout genre qui s’étalait sur le présentoir en polystyrène.
M16, M4A1, FAMAS et autres bijoux de calibre .50 s’étendaient entre les caisses de munitions et les chargeurs de grande capacité.
- Où t’as eu tout ça ?! On est en 1945, même avant, et toi, tu nous sors des armes du vingt-et-unième siècle ! Comment t’as fait ?
- On peut tout faire si on connait les bonnes personnes… Et puis, après tout, on rêve ou non ? C’est à nous de fixer les règles du jeu !
Il était beaucoup trop mystérieux, exaspérant pour Ulrich. Il ne pouvait en supporter plus. Les évènements des derniers jours l’avaient trop chamboulé pour qu’il ne puisse supporter quelques énigmes de pacotilles.
Toute la pression qu’il avait accumulée jusqu’alors se retrouva évacuée par un magnifique direct du droit dans la mâchoire de Stan. Mais celui-ci ne broncha même pas, il se frotta seulement la joue à l’endroit où le choc avait fait une bosse sur le coup.
Ils arrivèrent quelques quinze minutes plus tard à l’endroit que Stan avait désigné plus tôt sur la carte du pays. Ils descendirent du véhicule et Stan expliqua pourquoi ils s’étaient arrêtés si précipitamment.
- C’est à moins de deux kilomètres, mais il faut marcher, ils nous repèreraient trop facilement. Choisis une arme.
Il désigna les fusils d’assauts, les mitrailleuses et les fusils de sniper. Ulrich hésita puis choisit un futur cousin du FAMAS et un modèle évolué du barret calibre .50.
Stan prit une mitrailleuse lourde et son lot de balles quasiment aussi lourdes que l’arme en elle-même.
- Suis moi, et met ta capuche
Ils marchèrent près d’une heure, encombrés autant par leurs armes que par les hautes congères qu’avait formé le vent. Au terme de cette randonnée, ils parvinrent au sommet d’une butte qui donnait sur un spectacle assez inhabituel : un convoi de plusieurs dizaines de véhicules s’étendait autour d’une sorte d’abri de pêcheur en béton. De cet étrange abri se relayaient une trentaine d’allemands qui portaient les barils contenant sûrement le produit recherché et les caisses de munitions, de roquettes et d’obus.
Stan, en désignant un chargement complet de bidons jaunâtres chuchota :
- C’est ce qu’on cherche, il faudrait poser du C4 sur les camions. Ca ferait un joli feu d’artifice, tu ne crois pas ?
- Du C4, tu en as ?
- Mais bien sûr ! J’ai tout ce qu’il faut !
Pour justifier ses paroles, il sortit de son sac à dos une dizaines de charges de plastic.
- Et comment on est censé faire ?
- Accroche ça sur ton arme et tire le plus loin possible… Là bas !
Il désigna un bosquet étroit et lui tendit un lance grenade démontable.
Ulrich le monta sur le rail accessoire de son arme et posa la grenade au fond du lanceur. Il visa grâce à la mire dépliable, et tira la grenade dans un poc étouffé.
Le projectile siffla et alla s’écraser plus de deux cent mètres plus loin contre un tronc avant de tout pulvériser dans un rayon de cinq mètres.
Le bruit de l’explosion parvint très nettement aux oreilles des deux amis et les soldats nazis ne mirent pas longtemps pour réagir : le gros des troupes était parti voir quelle était la cause de la détonation.
Il ne restait que six soldats qui montaient la garde à proximité des camions.
- Mets le silencieux et abats-les !
Ulrich vissa le silencieux sur le barret .50, s’allongea et retint son souffle avant de régler la lunette en prenant en compte le vent et la distance. Il souffla complètement son air et tira la première balle.
L’ennemi le plus éloigné du groupe fut atteint au niveau du cou. Un trou béant traversait la carotide de la cible.
Le deuxième tir atteignit un soldat au ventre et lui perfora l’estomac comme si celui-ci n’avait été qu’un simple morceau de mousse.
Au fur et à mesure que la neige rougissait, tâchée du sang des nazis, le chargeur se vidait en faisant mouche à chaque coup. Mais vint le tour du dernier. Il courut tant qu’il put et se jeta en avant sous un des camions, ne sachant d’où provenaient les tirs mortels. Il se replia en position fœtale, mais son visage était toujours dans la ligne de mire du sniper. Il inspira longuement, réajusta sa prise, et tira.
La balle arracha la partie inférieure de la mâchoire du malheureux qui mourut sur le coup. Les dents décrochées volèrent en même temps que le sang chaud de tous les côtés.
Mais Ulrich, ne pouvant supporter plus d’horreur, vomit de la bile qui lui brula la gorge. Il se rinça la bouche avec de la neige qui estompa quelque peu le goût âpre de l’acide gastrique.
- Ne te tracasse pas pour eux, ce en sont que des pensées qui traversent ton esprit. Ce sont des passants que tu as simplement regardé dans la rue. Tu ne t’en rappelles peut-être pas, mais ton subconscient, lui, si.
Il tenta de le réconforter avec une tape amicale dans le dos, mais elle fut sans effet. Il regarda en direction du bosquet où ils avaient attiré les allemands pour laisser le temps à son ami de se remettre de ses émotions. Une fois les crises passées, ils descendirent en glissant sur leurs sacs à dos le long de la colline qui les séparait du bunker souterrain.
Ils se séparèrent et posèrent une charge sur chaque réservoir pour couvrir en partie leur fuite si la mission tournait mal.
- Allons-y, nous ne devons pas être loin de l’entrepôt.
Stan passa devant, et en rentrant dans l’abri, se pencha sur une trappe en acier refermée sur le sol. Il la dévissa et l’ouvrit sans faire de bruit. Il découvrit en contrebas une fourmilière allemande : des soldats, civils et autres scientifiques en blouse blanche s’affairaient autour de dizaines de rayons d’armes et de munitions.
Il sortit de son sac un chapelet de grenages à fragmentation et deux grenades qui ressemblaient fort à des grenades fumigènes.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Du napalm ! Ca va péter !
Il affichait un sourire mauvais et une lueur de folie planait dans son regard. Il se pencha sur la trappe, et tendit les grenades au napalm à Ulrich.
- Jette-les !
Son regard était vraiment dérangeant, mais en voyant que son ami restait sans rien faire, il reprit, mais avec un ton froid qui inspira une certaine crainte chez Ulrich :
- Fais ce que je te dis… C’est pourtant pas compliqué de jeter deux grenades dans un trou de malades ? Alors fais-le !
Ulrich déglutit difficilement. Il ne reconnaissait plus son ami. Où était donc passé le Stan peureux et charmeur qu’il aimait tant étant jeune ? 2tait-ce cette machine qui l’avait rendue comme ça ? Mais malgré ses préoccupations, il allait devoir exécuter ses ordres, il n’avait aucunement l’envie de mourir…
Il lui prit des mains les deux grenades incendiaires et s’accroupit pour lâcher les explosifs. Il les dégoupilla, hésita, les retenant par le sommet. Mais il finit par les lâcher, en même temps que Stan balançait le chapelet de grenades classiques.
Et d’un coup, le temps sembla ralentir : ils lâchèrent les explosifs et se levèrent d’un même mouvement. Ils rabattirent leurs capuches et se mirent à courir comme des fous dans la neige collante pour parvenir à échapper à la déflagration qui se rapprochait d’eux. Les flammes s’échappèrent de la trappe qu’ils avaient oubliés de refermer dans la précipitation. Le bruit et le souffle violent les plaquèrent au sol, les oreilles sifflantes.
Les quelques secondes qui suivirent semblèrent durer des heures pour Ulrich qui n’entendait plus rien. Il porta deux doigts à son oreille droite, et il y sentit un liquide chaud s’en écouler.
- Du sang. Moi aussi.
Il fut surpris de comprendre les mots de son ami, se croyant momentanément sourd. Sauf qu’il ne l’était pas. La nature toute entière s’était tue. Un silence total s’était abattu sur la plaine.
Ils se redressèrent péniblement et regardèrent les décombres affaissés de la cache d’armes.
- Ils sont tous morts. Mais les autres ? Ulrich désigna le bosquet au loin.
- Je sais pas, mais je trouve ça bizarre qu’il n’y ait plus de bruit… On n’entend même plus la neige craquer !
Il appuya ses paroles par un saut sur place qui ne produisit strictement aucun bruit.
Epaulant son FAMAS v2, Ulrich se dirigea vers le bosquet, en prenant bien soin de ne pas toucher les camions encore chargés et bourrés de C4. Il fit un signe de main à Stan afin qu’il vienne aussi et il continua son chemin sans se douter que les vapeurs du produit allaient leur procurer une jolie surprise.
Quelques minutes plus tard, encombrés par la neige ramollie par la chaleur du souffle, ils parvinrent au bosquet. Mais au lieu de trouver les soldats bien vivants qu’ils avaient abandonnés quelques instants auparavant, ils trouvèrent des coquilles vides. Les corps des soldats avaient été éventrés et vidés de leurs boyaux qui gisaient sur le sol. Leur sang s’était mêlé à la neige et formait une sorte de gadoue rougeâtre.
- Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
La fumée montant des décombres, les corps épars et mutilés, le silence pesant comme un couvercle, tous ces éléments que ne pouvait supporter un homme saint d’esprit. Ulrich tomba, prit d’un malaise.
Stan vint se pencher sur lui :
- Relève-toi et sois fort ! Et surtout, n’oublie que nous sommes dans un rêve.
- Mais tout est tellement réel !
- Ils ne le sont pas !
Il s’était emporté, il avait crié plus que nécessaire. Il l’aida donc à se relever et il s’excuse pour son comportement. Il sortit de sa poche le détonateur à distance des charges de C4. Il enleva le cran de sûreté et, en se retournant vers le spectacle, appuya sur le déclencheur.
Toutes les cartouches que les camions contenaient claquèrent en explosant suite à la chaleur intense produite par la combustion de la gomme de pneu et de la toile sur les côtés.
Mais lorsque les barils de liquide explosèrent, un nuage de produit vert se dispersa dans l’air avec la fumée noire.
- Mets ton masque ! Bouge !
Stan l’avait déjà enfilé, et sa voix déformée rendait la scène encore plus stressante. Ulrich mit donc son masque à gaz à double filtres qui était jusqu’alors accroché à son treillis.
Les volutes épaisses et opaques s’enroulaient autour de leurs jambes. Les vapeurs progressaient et allaient désormais recouvrir les morts.
Les deux amis restèrent sur place, les yeux rivés sur le paysage silencieux et figé, n’ayant pas vu les vingt-sept soldats se relever…
Ulrich leva une main en faisait signe de se taire de l’autre. Il tendit l’oreille, étant persuadé qu’il avait entendu des grognements. Et il avait raison, les gémissements ignobles provenaient de derrière eux : les quelques soldats étaient revenus de parmi les morts. Stan, en se retournant, envoya une grande rafale de mitrailleuse par reflexe. Le soldat de tête fut atteint en divers endroit du corps, mais une balle l’acheva lorsqu’elle pulvérisa le sommet du crâne.
Il avait déjà été dévoré apparemment, car sa joue droite était déchiquetée et pendait misérablement, maintenue par on ne sait quel miracle.
Tous ses congénères avaient apparemment subit le même sort, ils étaient tous mutilés. Et chacun plus que l’autre.
Le premier zombie s’effondra sur le sol, mort pour de bon cette fois ci. Stan tomba à la renverse, emporté par le recul de son arme, et Ulrich le releva sans même s’arrêter et ils coururent comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant.
Ils se retournèrent deux fois pour envoyer une salve de projectiles meurtriers, mais ils gagnaient de l’avance car les zombies se déplaçaient extrêmement lentement, en marchant.
Malgré les balles frappant les corps animés, aucun ne tombait. Elles ne faisaient que les ralentir, et encore… Mais une fois dos au mur du bunker, ils virent sortir des camions, des dizaines de nouveaux soldats carbonisés. Ils se dirigèrent instantanément vers eux.
- Merde ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Ulrich ne comprenait rien de ce qu’il lui arrivait, mais une peur intense investissait son ventre, nouait son estomac, remplissait ses poumons et lui faisait perdre son sang-froid. Il commença à paniquer, à trembler car l’adrénaline commençait à manquer dans son sang. Il commençait à vraiment prendre conscience de ce qu’il se passait : il faisait face à des zombies dévoreurs de viande ! Il avait tiré sur des morts qui marchent et incendié un entrepôt ! Il avait tué six hommes d’affilée sans aucun scrupules.
Comment avait-il pu faire cela ? Comment une personne peut-elle en venir à commettre autant de crimes, alors qu’au préalable, elle n’aurait pas fait de mal à une mouche ?
Vingt mètres les séparaient des monstres.
C’était cette machine. Elle offrait tellement de liberté que ses utilisateurs s’en trouvaient corrompus.
Quinze mètres.
Il regarda autour de lui. Rien d’utile, aucune porte secrète ne se présentait à lui. Rien d’autre que des morts et du sang… Et en n’ayant plus balles dans leurs chargeurs, ils étaient coincés.
Douze mètres.
Soudain, il eut une illumination :
- Stan, comment fait-on pour sortir d’un rêve ?
- Euh… Il faut mourir il me semble.
- Et, est-ce qu’on saigne pendant un rêve ?
- Bien sûr que non ! C’est un rêve !
Ulrich lui tendit son bras écorché par la pierre. De fines gouttelettes de sang perlaient où le mur avait entamé la peau.
Sept mètres.
Stan se décomposa. Il pensa tout d’abord à sa famille. Ses parents, tantes, oncles et cousins qu’il ne reverrait jamais. Mais avaient-ils réellement existés ? Et si toutes leurs vies n’avaient été qu’un rêve ? Et si c’était bel et bien cette mort atroce qui leur était destinée ?
Une larme roula le long de sa joue.
- Non ! Je ne veux pas mourir comme ça !!
Les zombies formaient un arc de cercle qui se refermait de plus en plus.
Deux mètres à peine, leurs bras se tendaient vers la chair fraiche.
- Adieu… Adieu Ulrich…
Ils pleuraient tout les deux.
Un mètre, ils furent saisis par plusieurs bras avides de chair fraiche.
Stan sortit de sa poche la grenade qu’il avait gardé au cas où. Il la dégoupilla et regarda Ulrich dans les yeux avant de tendre le bras dans sa direction. Ils tinrent la grenade à deux, et la fracassèrent sur le mur en béton.
La grenade explosa dans un geyser de sang, de membres et de résignation…
« Ulrich et Stanley, tous deux morts au combat pour sauver notre pays, et sûrement la Terre entière d’un catastrophe chimique. Je vous propose de faire une minute de silence pour honorer leurs sacrifices. Merci… »
N’avez-vous jamais rêve de terminer votre vie comme un rêve ? N’avez-vous jamais rêve de stopper la misère par une sonnerie de réveil ?
Il vaut mieux vivre pleinement sa vie plutôt que de rêver de la vivre. Préférez les actions plutôt que les pensées !
Mais… Et si les pensées elles-mêmes étaient des actions ?
Mais qu’est-ce qui vous dit que vous avez vraiment lu ce texte ? Qu’est-ce qui vous dit que votre mère va venir vous réveiller ?
Il se peut même que vous ne vous réveilliez jamais…